Interview de Grégoire Abrial, slow designer

 
Hang Pham et Grégoire Abrial dans leur chambre-cabane au centre de leur loft de Williamsburg

Hang Pham et Grégoire Abrial dans leur chambre-cabane au centre de leur loft de Williamsburg

Tapez « designer » + « slow » sur internet. Vous tombez sur Grégoire Abrial. La team de Pause a pris quelques quarts d’heure américains pour rencontrer ce designer stéphanois expatrié à Williamsburg et découvrir sa conception du slow…

As-tu toujours eu pour vocation le design ?

Pas du tout ! Originaire de Saint-Étienne, plutôt doué en maths et avec un grand-père sorti des Arts et Métiers, j’ai commencé en bon élève classique par une prépa qui m’a conduit tout droit et logiquement vers une école d’ingénieur. Très technique, ça m’intéressait de
comprendre les mécaniques de fonctionnement des choses, et de quoi chacune était faite… Mais, au bout d’un an, loin de la mentalité d’école, je ne me sentais toujours pas à ma place : j’ai tout arrêté pour faire des petits boulots. 

Ces premiers salaires m’ont permis d’acheter des machines et j’ai commencé à fabriquer des meubles. Pour ma copine qui emménageait dans un nouvel appartement, pour mon père qui avait besoin d’étagère pour son bureau, etc. Un jour, mon book-photo sous le bras, j’ai sauté le pas et j’ai présenté mes fabrications à une petite galerie stéphanoise. Pour la première fois, on m’a parlé de design.

Je suis alors rentré en BTS de création industrielle à la Martinière à Lyon. En 2005, je suis mes copains pour 4 ans à l’ENSCI (École nationale supérieure de création industrielle) dans cette ancienne manufacture de meubles, la Maison Jansen, réaménagée en un grand atelier bois, un espace dédié au plastique, un autre au métal. Ouverte 24h/24, j’y ai expérimenté tout ce qui me passait par la tête : c’était génial !  

C’est là que ma passion s’est professionnalisée… 

Comment le sujet du slow design est venu à toi ?

Je me creusais la tête pour trouver un sujet de mémoire quand j'ai vu un article du New-York Times sur le slow : ça a créé le déclic. Pendant 6 mois, je me suis consacré à mon mémoire sur le design et le slow. Au final, c’était moins une dissertation savante qu’un recueil d’informations afin que le lecteur puisse se faire sa propre idée du slow design. 

"Moino" Grégoire Abrial - Un nichoir poétique conçu à l'école l'ENSCSI Photo : Véronique Huygues

"Moino" Grégoire Abrial - Un nichoir poétique conçu à l'école l'ENSCSI Photo : Véronique Huygues

En étudiant le slow, comment s’est faite cette idée de vivre à New York, la ville « speed » qui ne dort jamais ?

J’ai choisi de faire mon 1er stage de six mois en design d’intérieur à New York chez Amy Lau, ensuite mon 2nd stage, en design produit chez Ron Gilad à New York. Puis Amy Lau m’a proposé un travail après mes études. 

À 26 ans, c’était une chance extraordinaire de pouvoir m’y installer. 

Notre rôle de designer est de créer un lien affectif avec l’objet

Pendant mon oral de mémoire, une partie du jury m’a effectivement demandé si New York était une destination en adéquation avec le « slow lifestyle » que je présentais, tandis que d’autres membres ont justement souligné que cette démarche prendrait d’autant plus de sens dans un contexte de rythme accéléré. 

Comment se crée-t-on un cocon à New York ?

C’est Ron Gilad qui m’a fait découvrir cet immeuble de lofts à Williamsburg. Exactement l’image que je me faisais d’une vie à New York.

Cet appartement était complètement vide, une véritable feuille blanche. Jeunes, sans argent et sans voiture, on a commencé à créer en rapportant sur notre dos ce qu’on trouvait à droite à gauche, dans la rue, chez nos voisins. Et ça me semblait être en parfaite continuité avec mon sujet de mémoire.

As-tu senti le besoin de prendre une pause, de t’arrêter dans ton parcours ?

Dans mon agence, j’ai rencontré ma future femme, Hang Pham originaire du Vietnam. Quand son visa américain a pris fin, j’ai décidé de partir avec elle à Hanoï. Après 4 ans de vie new-yorkaise, j’avais besoin de faire ce break. J’ai démissionné et je suis parti la rejoindre pour 3 mois initialement, j’y suis resté 1 an.

On avait un travail génial au Hanoï Design Center qui promouvait le local. J’y occupais un poste de conseil en design et elle de développement marketing. C’était passionnant 

Puis nous nous sommes mariés et je lui ai proposé de découvrir à son tour mon monde à moi, ma culture, ma famille et de passer un an en France. On est rentrés à New York en 2015. 

"Vases ciment" Grégoire Abrial - Ciment, rotin - Commande du Hanoï design center, Vietnam 2014

"Vases ciment" Grégoire Abrial - Ciment, rotin - Commande du Hanoï design center, Vietnam 2014

Le slow appliqué à ta vie… ?

En réalité, ma vie professionnelle (en design d’intérieur) n’est pas très slow en soi : des contraintes de planning, de budget, l’importance du look… je n’en suis que trop conscient 

Mais, en parallèle, on prend le temps de monter un studio de design en accord avec nos valeurs.

New York, c’est une concentration de possibilités, d’événements, de voisins, de sorties, d’expositions… C’est compliqué d’y être franchement slow 

Le programme classique de ma journée un samedi ? Une balade sur le pont de Brooklyn, un déjeuner à Chinatown, une expo à Redhook et une session de courses pour préparer le diner des amis. Un tourbillon de vie passionnant. 

"Table de découpes" Grégoire Abrial - Découpes de panneaux de bois et verre Upcyclées / Photo : Brett Wood

"Table de découpes" Grégoire Abrial - Découpes de panneaux de bois et verre Upcyclées / Photo : Brett Wood

Qu’est-ce que tes recherches sur le slow t’ont apporté dans ton travail de designer ?

Le design est un incroyable outil d’influence sur le mode de vie des gens pour aider à réfléchir sur nos modes de consommation.  

En tant que designer, notre rôle est de proposer des objets qui ont une histoire pour créer un lien affectif avec l’objet. Plus les liens aux objets sont forts et moins on a tendance à les jeter. 

Au-delà de la question de durée de vie de l’objet, je suis convaincu que ça participe à notre bien-être : on vit mieux, dans notre espace personnel, entouré d’objets avec lesquels on a un lien, on se sent plus vivant, de meilleure humeur, en connexion avec des choses dont on connaît les histoires.

tiroirs.jpg

Plus les liens aux objets sont forts et moins on a tendance à les jeter ! “

"Bryn" Projet des tiroirs - Grégoire Abrial

La gentrification racontée avec des tiroirs, quel est le sens de ce projet ?

Il est difficile de donner une seconde vie à des tiroirs sans leur meuble d’origine.

Donc j’ai décidé de travailler avec eux sur le thème de la gentrification de notre quartier. C’est un projet de 12 tiroirs que j’aimerais exposer : ils symbolisent chaque personne que je connais et qui a dû quitter son logement. Ils racontent le mouvement, le départ de son chez soi.

Tu as écrit sur le slow design ?

Oui, pour Étapes magazine. Ça m’a beaucoup plu d’écrire sur ce sujet. 

Et j’ai également participé à un atelier à Barcelone pour Space10, une agence de design financée par Ikea pour (re)penser l’avenir du design. Une semaine de réflexion était organisée sur le futur du meuble via la récupération de déchets dans les rues de Barcelone. C’était une initiative intéressante dans cette ville où le développement des fablabs est galopant, ultra tendance, ainsi que le principe de fabriquer soi-même, de réparer, d’être autonome et de moins consommer.

Un designer qui t’inspire ?

Piet ein heek, car il a réussi un tour de force : il est parvenu à transformer un vieux parquet en objet désirable. Or la difficulté quand on travaille un matériau de récupération, c’est une maitrise limitée de la matière. Lui, il en vend partout dans le monde et reste en plus très accessible.

Scrapwood wallpaper par Piet Hein Eek

Scrapwood wallpaper par Piet Hein Eek

Sinon, J’admire beaucoup les initiatives telles que Precious Plastic – l’installation de machines partout dans le monde pour donner la possibilité au grand public de réutiliser par eux-mêmes ce matériau, de manière fun. 

Des conseils pour les apprentis designers pour être slow ?

Regarder… par terre. On y trouve beaucoup de beauté.

Et d’apprendre à prendre soin : des matériaux, de la façon de transformer la matière, de s’intéresser à toutes les étapes de la fabrication – c’est cette attention particulière que tu donnes par-ci par-là aux moindres détails dans la conception de l’objet qui va se ressentir dans la création finale.

Ne pas regarder seulement le style, mais s’exprimer à travers son travail, c’est essentiel. Le design est un outil d’expression et d’influence sur les modes de vie. C’est en tous cas celui que j’ai choisi. 

Bright Friday...

Un exemple de projet slow que tu as mené ? 

À New York, sur certains objets laissés dans la rue, les gens mettent un petit mot « Take me home », « Je fonctionne encore ». Et j’ai compris que cette note change le regard sur l’objet trouvé, qui passe du statut de déchet, « bon à jeter », à une bonne affaire ou un cadeau de quelqu’un d'inconnu.

J’adore rapporter des trouvailles de rue, je les accumule, les retravaille, les répare avec pour objectif de les remettre dehors, une inscription « free » dessus afin qu’elles trouvent un nouveau foyer. En offrant aux passants ces meubles, j’ai envie de changer leur vision des objets abandonnés et de les inciter à s’arrêter, à se questionner sur la consommation en général.

J’ai mis une douzaine de meubles sur le trottoir sans intervenir dans leur découverte pour laisser faire ce moment magique et mystérieux.


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