Patrick Nadeau, designer végétal

© Fillioux&Fillioux

C’est un designer qui n’est pas bricoleur et un designer végétal qui n’est pas jardinier. Pourtant Patrick Nadeau qui, un temps s’est rêvé paysagiste, est l’un des premiers designers à proposer sa vision du mariage du végétal et du design.

Pause  : Qu’est-ce que le design végétal ?

PN : « Je pense qu'il y a autant de définition du design végétal que de gens qui le pratiquent. La différence avec le design classique est dans l’intention particulière à toutes les composantes sensibles. C'est-à-dire que le végétal a des couleurs particulières, une texture qui lui est propre, il dégage une humidité, il bouge... C’est un alliage de sensibilités, de proximité, d’attention. Il y a aussi une dimension ludique et intellectuelle  : c’est, par exemple, le plaisir d’associer de organique et de voir comment il peut avoir une influence sur les formes que l'on dessine.

Quelle est la place du design végétal en ville ?

C’est une porte d'entrée dans le renouvellement de la ville. Pour moi la ville est un des projets les plus importants pour le siècle présent  : dans quoi va-t-on réussir à vivre demain ? Le design végétal est une des clés pour aborder ce sujet et une des clés pour rendre la ville vivable. Il y a une dimension humaine évidemment, le fait que l’homme reprenne en main son environnement, qu’il intervienne à nouveau pour faire des choix sur des sujets essentiels comme se nourrir ou respirer.

En quoi le design végétal a-t-il fait évoluer votre trait, changer votre regard ?

Je vais prendre un exemple : si on cherche à intégrer des plantes dans une table, on peut se dire qu'il serait plus simple de poser un pot de fleur. Ceci dit, si on réfléchit, cela remet en question notre façon de penser la table. C'est-à-dire que l’on interroge à nouveau ses composantes fondamentales : c'est un plan, une surface, une hauteur… Tout d'un coup, ça change votre regard, cela ouvre un nouvel angle et donne de nouvelles idées.

Qu’est-ce que vous apprend le design végétal ?

Le fait d'étudier la façon dont les plantes fonctionnent, c'est une leçon parfois très contradictoire. A la fois une leçon sur le fonctionnalisme parce que des plantes sont parfaitement adaptées à des situations ou parce qu'elles ont la capacité d'adapter leur forme par exemple. C'est incroyable à observer pour un designer. Et en même temps, elles ont des trucs qui sont complètement gratuits. Par exemple une fleur, ça sert à quelque chose mais c'est aussi une sorte de couleur, de forme qui dépassent de loin la pure fonction.

Comment avez-vous eu l’idée d’initier ce design végétal ?

Au début c'était purement esthétique, une attirance. J'ai fait des études d'architecture puis de design et j'ai gardé une certaine nostalgie de ne pas avoir fair des études de paysagisme. En rentrant du Japon, j’ai été appelé par Mathilde Bretillot qui était en train de monter l'école de Reims (ESAD) avec Fabien Cagani, Pierre Charpin, Marc Bretillot, Olaf Avenati et d’autres encore, nous nous sommes lancés dans une aventure collective passionnante, une ambiance stimulante et favorable : Marc a développé le design culinaire et moi parallèlement le design végétal.

Place de la république à Rennes - Installation 2016 ©Philippe Chancel

Place de la république à Rennes - Installation 2016 ©Philippe Chancel

Est-ce que quelqu’un avait déjà parlé de design végétal avant vous ?

Je ne crois pas. Il y avait des architectes qui s’intéressaient au végétal en terme d’ensemble, de paysage. Je pense que dans le design végétal, la spécificité c’est qu’on part de l’échelle de la plante, de l’échelle de l’homme alors que l’architecte part de l’échelle d’un groupe d’homme ou de la ville. J’ai aussi rencontré un botaniste, Francis Hallé. C’est incroyable de discuter avec lui, il explique qu’il en apprend plus sur une plante en la dessinant qu’en faisant plein d’études chimiques… Et, aujourd’hui, de plus en plus de designers s’intéressent aux composantes sensibles du design.

Qu’entendez-vous par «  composantes sensibles », est-ce que c’est ce qui fait la particularité du design végétal ?

Evidemment, faire appel aux sens dans le design c’est essentiel. L’odorat, la vue mais la lumière aussi par exemple. La façon dont les plantes prennent la lumière est très intéressante. Quand on y pense, une plante c’est un capteur solaire et une surface réfléchissante, diffusante… A Rennes, pour mon installation sur la place de la république, j’avais demandé à ce que le maximum de lumières extérieures soient retirées. Que l’éclairage urbain soit remplacé par l’éclairage dans les plantes. Ainsi, ce sont les plantes qui rediffusent la lumière sur la place et ça crée une ambiance un peu mystérieuse, aquatique, organique… Là, puisqu’on parle de sensible, on est vraiment dedans.

Vous inspirez-vous du bio-mimétisme ?

Même si ce n’est pas ce que je cherche à faire, ça m’intéresse, j’aime le côte fiction. Dans mon projet de maison vague (une maison et un jardin ne font qu’un seul et même objet), il y a quelque chose qui y fait écho : qui montre que l’association architecture et plante, ça peut faire un vrai projet. En associant des méthodes de pensées issues de disciplines différentes (paysage et design ou architecture, par exemple), on génère des formes inattendues, on sort des sentiers battus. Pour moi, le rôle du design, c’est d’imaginer les choses qui seraient possibles et qui donnent envie d’avenir.

Justement, pour vous, le design végétal peut-il être un instrument de militantisme écologique ?

Pour le salon Idéobain on m’avait demandé d’imaginer une salle de bain écologique. J’ai regardé tous les produits écologiques disponibles mais le fait de mettre un robinet économiseur d’eau, d’un point de vue esthétique, ça n’apportait rien. Je cherchais à faire quelque chose de fort visuellement qui raconte une histoire. J’ai alors choisi le design fonctionnel afin de mettre en scène le principe de filtration et d’épuration de l’eau par le biais de bassins. Même si on n’a pas la place dans une salle de bains classique de mettre des bassins aussi grands, tout à coup, on raconte une histoire possible. En imaginant des bassins à l’extérieur de la salle de bains, on peut imaginer des architectures totalement différentes avec des immeubles équipés de lacs en terrasse ou de cascades par exemple. C’est ce qui est passionnant dans le design végétal. Il vient aider l’écologie qui demande un gros effort : il apporte du confort visuel et du confort environnemental.

La maison-vague construite en 2013, sur la commune de Sillery (51) ©Ternisien

La maison-vague construite en 2013, sur la commune de Sillery (51) ©Ternisien

Vous donnez des cours depuis presque 20 ans maintenant, est-ce que vous voyez une évolution dans la perception de vos étudiants par rapport au végétal ?

Ils parlent beaucoup d’écologie et s’intéressent aux choix des bons matériaux et des bons process. Parfois, c’est même moi qui leur dit d’apprendre d’abord à faire un objet, avant d’apprendre à faire un objet écoconçu. Avant d’aborder l’écologie en tant que designer, il faut être déjà bien armé en tant que designer et bien comprendre la logique d’un objet pour la manipuler correctement.

Quels sont les projets de design végétal qui vous ont marqués ces derniers temps ?

Tout d’abord Ishigami à la fondation Cartier. Et je trouve qu’il y a beaucoup de choses très intéressantes en architecture et en paysage aussi. Comme la paysagiste Catherine Mosbach qui a créé avec les architectes de Sanaa une architecture paysage très forte pour Louvres-lens. Ou encore, si l’on remonte un peu dans le temps, Michel Corajoud qui a fait les quais à Bordeaux en fait, pour moi, les paysagistes sont des gens passionnants qui interviennent sur le territoire, qui interviennent vraiment sur la façon de se poser sur terre. On sort d’une période où on ne parlait pas de paysage mais d’espace-vert. On posait un bâtiment sans se préoccuper de ce qu’il y avait autour. Désormais on est plus sur une démarche globale, on prend en compte l’ensemble du site, je parlerai même de « milieu ».

Pourquoi dites-vous que le design végétal est joyeux ?

Parce que c’est coloré, parce que ça pousse, ça évolue, c’est festif… Les plantes sont souvent associées à des moments joyeux, dans les fêtes païennes ou les fêtes de la nature.

Comment peut-on introduire un peu de design végétal dans sa vie ?

Il y a déjà plein de gens qui le font. Il y a plein de gens qui le font même plus que moi. Tous les gens qui jardinent, qui font des terrasses… Moi j’essaye de mettre en scène la nature pour qu’on la perçoive un peu plus intensément, qu’on la redécouvre, qu’on change un peu de regard. Quand j’ai commencé à m’intéresser aux plantes, à cette période dans les entreprises c’était encore le service de ramassage des ordures qui s’occupait des plantes. Les plantes n’étaient pratiquement jamais arrosées, quand elles mourraient on les changeait, elles ne poussaient pas, elles étaient couvertes de poussières… Actuellement, je suis sur un projet pour une banque et au contraire, on fait des séparations, des cloisonnements, des plafonds avec des plantes… on fait en sorte que ce soit un environnement vivant. On n’est plus dans la plante verte en pot.

Justement, comment avez-vous trouvé la plante que vous avez utilisée pour BOFFI ?

Avec mes étudiants de l’Esad de Reims, au Conservatoire Botanique National de La Réunion (même si cette plante – la Tillandsia usnéoides – n’est pas particulièrement courante dans cette région). Nous y étions pour un workshop avec l’Ecole d’Art locale et nous avons passé beaucoup de temps à nous balader dans la nature incroyable de cette île. Pour un designer cette plante est incroyable, elle n’a pas besoin de terre, elle pousse simplement avec la lumière et l’humidité ambiante. Donc pour BOFFI bain, l’environnement était parfait : elle permettait de libérer le sol pour créer un jardin suspendu au vrai sens du terme. En plus, légèrement argentée, elle prend particulièrement bien la lumière.

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Pour vous, qu’est-ce que c’est « faire une pause » ?

Pour moi une pause c’est comme prendre une douche : on a d’un seul coup le cerveau en roue libre et on trouve des idées sans les chercher. A une époque, on devait défragmenter nos ordinateurs pour tout remettre en place. Pour moi, la pause c’est un peu ça, c’est une sorte de défragmentation. J’y arrive avec un roman par exemple, ou en marchand dans Paris, la nuit quand la température de la journée redescend et que tout est plus calme

©Ph. Chancel